Chaque année, des chercheurs de partout sur la planète s’affairent à dresser un portrait de la situation entrepreneuriale dans différents pays dans le cadre de l’enquête Global Entrepreneurship Monitor. Grâce à une équipe de l’Université du Québec à Trois-Rivières, le Québec est représenté dans ce rapport mondial.
Étienne St-Jean et Marc Duhamel sont tous deux professeurs à l’UQTR. C’est dans le cadre de leurs travaux à l’Institut de recherche sur les PME qu’ils complètent annuellement l’état de l’activité entrepreneuriale du Québec. Le rapport 2020 constitue le 8e rapport consécutif produit dans le cadre de l’enquête du Global Entrepreneurship Monitor. Le projet du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) est une évaluation annuelle des attitudes, aspirations et activités entrepreneuriales dans plusieurs pays.
« À terme, ce portrait contribuera à mieux apprécier le potentiel que représente l’entrepreneuriat pour la relance économique québécoise à la suite de toutes sortes de catastrophes, qu’elles soient d’origine anthropique, zoonotique ou naturelle », écrivent-ils en introduction.
Sans surprise, le rapport témoigne des effets négatifs que la pandémie a eu sur l’entrepreneuriat. Par contre, il révèle aussi que le Québec a réussi à bien tirer son épingle du jeu, principalement grâce à la résilience de ses entrepreneurs. De plus, le soutien efficace des programmes gouvernementaux aurait joué un rôle majeur pour aider les entrepreneurs à traverser une année difficile.
Les attitudes entrepreneuriales
L’un des facteurs importants pour expliquer le choix de la carrière entrepreneuriale est l’attitude à l’égard de l’entrepreneuriat. Il s’agit de la culture entrepreneuriale d’un territoire. À ce sujet, le Québec se positionne comme le territoire comparable où l’entrepreneuriat est le plus valorisé au monde, avec 83,9 % d’appui, comparativement au RDC où 68,0 % des citoyens estiment qu’il s’agit d’une bonne carrière.
Par contre, seulement 36,6 % des Québécois connaissent personnellement une personne qui a démarré une entreprise au cours des deux dernières années, comparativement à 55,2 % des citoyens dans le reste du Canada (RDC). Pourtant, on sait que le fait de connaître personnellement des entrepreneurs permet de démystifier leur travail et d’offrir un point de comparaison pour estimer ses propres compétences entrepreneuriales. Ainsi, les chercheurs se demandent si c’est ce qui fait en sorte que « les Québécois s’estiment moins compétents (45,5 %) pour devenir entrepreneurs comparativement à leurs concitoyens du RDC, où 58,4 % pensent avoir les compétences requises ».
Opportunités et peur de l’échec
Si la culture entrepreneuriale d’un territoire et le sentiment de compétence des individus ont un effet sur la création des entreprises, trois autres éléments peuvent expliquer le taux de création d’entreprises : les opportunités perçues, la peur de l’échec et l’intention d’entreprendre.
Les résultats de l’enquête montrent que le Québec se situe parmi les pays où les citoyens perçoivent le plus d’opportunités de création d’entreprise en 2020 (56,2 %), comparativement à 47,1 % dans le RDC. Cependant, il faut préciser que ce taux est au plus bas depuis 2013, signe que la pandémie a eu un réel effet. De même, la peur de l’échec est en hausse et atteint 53,7 %, ce qui fait probablement chuter les intentions d’entreprendre, qui se situe maintenant à 18,2 % chez les citoyens québécois.
Par ailleurs, mentionnons que le Québec compte, globalement, moins de sorties entrepreneuriales (fermeture, vente, etc.) que d’autres territoires, ce qui suggère que la mise en action entrepreneuriale est peut-être plus difficile dans la province, mais que lorsqu’elle se produit, elle mène à des activités entrepreneuriales à plus long terme.
Des femmes résilientes
La pandémie n’a pas eu un effet similaire sur les hommes et sur les femmes qui sont des entrepreneurs émergents. En effet, les femmes du Québec ont subi une baisse du taux d’entrepreneuriat émergent, passant de 13,2 % en 2019 à 12,1 % en 2020, soit à peine 1 %. De leur côté, les hommes du Québec ont connu une baisse de 21,4 % en 2019 à 12,1 % en 2020, ce qui représente presque 10 %.
Ce résultat suggère que les femmes entrepreneures émergentes ont été plus résilientes que les hommes afin de poursuivre leurs activités malgré la pandémie de COVID-19.
Saisir les opportunités
Plus des deux tiers (66,8 %) des entrepreneurs émergents interrogés pour l’enquête ont estimé que le démarrage de leur entreprise s’était avéré relativement plus difficile au Québec à cause de la pandémie. Par contre, seulement 33,8 % ont affirmé que leur croissance avait aussi été difficile à cause de la COVID-19. D’ailleurs, ils ont été nombreux (48,5 %) à exploiter de nouvelles opportunités créées par la pandémie, ce qui place le Québec au 5e rang mondial à ce sujet.
Même les entrepreneurs établis (depuis plus de 42 mois) semblent avoir réussi à traverser la crise sans trop de conséquence sur leur croissance. Si leur croissance a été jugée difficile pour 45,7 % d’entre eux, il s’agit néanmoins de l’un des taux les plus faibles parmi les autres pays de l’enquête. Les entrepreneurs établis ont aussi exploité de nouvelles opportunités dans une proportion de 54,7 % (2e rang mondial).
L’intrapreneuriat
L’intrapreneuriat est défini étant une activité entrepreneuriale au sein d’une organisation existante (publique ou privée), qui peut référer à la création d’une nouvelle entité juridique ou à toutes les activités et orientations liées à l’innovation, telles que le développement de nouveaux produits et services, la prise de risque ou la proactivité dans le marché.
Selon les auteurs du rapport, l’intrapreneuriat a beaucoup d’importance pour le développement de l’économie, puisqu’il contribue au renouveau des entreprises existantes en leur permettant de se transformer et d’aller chercher de nouveaux marchés, ce qui en retour soutient la création d’emplois.
En 2020, l’intrapreneuriat a connu un déclin (3,9 % contre 6,7 % en 2019). Par contre, les intrapreneurs qui ont pu poursuivre leurs activités affirment avoir profité de nouvelles opportunités grâce à la pandémie dans une proportion de 71,7 %, ce qui place le Québec au 2e rang mondial.
Les motivations entrepreneuriales
Dans les années passées, l’enquête GEM ne compilait que deux raisons pour se lancer en affaires : par opportunité ou par nécessité.
Depuis l’édition 2019, quatre autres motivations pour démarrer une entreprise ont été introduites dans les questionnaires afin de mieux témoigner de la réalité complexe de la motivation entrepreneuriale :
1. Faire une différence dans le monde ;
2. Créer une grande richesse ou des revenus très élevés ;
3. Poursuivre une tradition familiale ;
4. Gagner sa vie parce que les emplois sont rares.
Résultat : le Québec est l’un des endroits dans le monde où la proportion des entrepreneurs émergents qui veulent démarrer pour faire une différence dans le monde est la plus élevée. Cette motivation rejoint 65,4 % des entrepreneurs émergents au Québec, un taux qui se compare à celui du RDC (66,7 %). Il n’y a qu’aux États-Unis que le taux est plus haut (68,2 %). À noter cependant que ce taux au Québec est plus bas que l’an dernier où 74,1 % avaient alors indiqué avoir démarré pour cette raison.
Finalement, mentionnons que, dans une large proportion, l’ensemble des entrepreneurs québécois considèrent que les réponses des gouvernements pour les soutenir ont été efficaces tout au long de l’année 2020.
Source : St-Jean, É. et M. Duhamel (2021), « Situation de l’activité entrepreneuriale québécoise : rapport 2020 du Global Entrepreneurship Monitor », Institut de recherche sur les PME, Université du Québec à Trois-Rivières (Canada).