Quels sont les ingrédients essentiels des lieux d’innovation?

Au cours des dix dernières années, les lieux destinés à accueillir et à faire émerger l’innovation se sont multipliés un peu partout à travers le monde. Bien que chacun ait ses particularités, des dénominateurs communs apparaissent comme des ingrédients essentiels pour maximiser les retombées et les effets durables de ces espaces. Puisant dans plusieurs années de recherche terrain, 40 études de cas et plus de 200 entrevues, le livre Open Labs and Innovation Management: The Dynamics of Communities and Ecosystems explore les meilleures pratiques mises en place dans les open labs afin d’accélérer les projets d’innovation.  

« Qu’on les appelle hubs d’innovation, living labs, fab labs, espaces de cotravail, accélérateurs, tiers lieu, etc., ces espaces sont destinés à accueillir l’innovation, à susciter l’émergence de nouveaux projets. Pour les travaux que nous avons menés, nous avons choisi le terme open labs pour prendre du recul et nous attarder de façon globale et concrète à l’ensemble de ces espaces. Nous avons choisi de voir les traits d’union qui unissent ces lieux », a indiqué David W. Versailles, codirecteur du livre lors du lancement nord-américain qui s’est déroulé à Montréal le 29 juin 2023. L’événement a été enregistré (captation audio) et peut être consulté ici :

 

 

La production de l’ouvrage s’appuie sur une collaboration de longue durée entre l’équipe de recherche de la Chaire NewPic (new Practices for Innovation and Creativity) du Paris Business School, codirigés par Valérie Mérindol et David W. Versailles, et l’équipe de recherche du Pôle de créativité et d’innovation Mosaic de HEC Montréal, avec en tête Patrick Cohendet et Laurent Simon. De nombreux auteurs ont participé à la rédaction, dont Luc Sirois, Innovateur en chef du Québec. Le Conseil de l’innovation du Québec a d’ailleurs présenté le lancement nord-américain de l’ouvrage dans le cadre de l’École d’été en management de la créativité de Mosaic-HEC Montréal.   

« Les open labs deviennent le point de départ de nouveaux modèles de gouvernance pour la gestion de l’innovation. Ils sont des interfaces entre l’État, la science, l’industrie et les gens qui font l’innovation. S’il y a un message à retenir de ce livre, c’est surtout que les gestionnaires de ces structures doivent être proactifs et experts de l’intermédiation. La pérennité de ces communautés repose sur les personnes qui les gèrent essentiellement. » 

 

Les apprentissages de la recherche 

Modèle de gestion 

Peu importe leurs différences, les lieux d’innovation ont trois choses en commun. Elles ont toutes :  

  • un espace physique,  
  • une communauté diversifiée partageant une vision commune,  
  • un portefeuille de services (conseils, incubation, intrapreneuriat, etc) développé par des animateurs. 

« Les open labs sont des endroits voués à briser les silos. Les rencontres improbables sont au cœur des dynamiques qui s’y créent. Il y a une volonté de faire autrement, de travailler en collectif. On se dit “si on travaille différemment ensemble, on pourrait répondre aux enjeux différemment et plus rapidement” », a souligné Valérie Mérindol lors du lancement.

À retenir 

  • L’open lab s’organise d’abord autour d’un besoin commun identifié dans une communauté.  
  • La valeur créée pour les utilisateurs dépend de la dynamique créée au sein de la communauté.  
  • L’animation de la communauté est déterminante pour générer des collaborations, attirer une diversité de gens, entretenir la dynamique d’innovation. 
  • Les gestionnaires des open labs sont donc des catalyseurs du développement de la communauté. 
  • Ils doivent être les chefs d’orchestre qui créent des interactions de confiance et mettent en œuvre de nouveaux modèles de collaboration multi-acteurs et multipartites.  
  • Ils gèrent l’espace physique et facilitent les événements. Ils favorisent les rencontres improbables et l’élaboration de valeurs partagées. 

Modèle d’affaires 

Les opens labs sont généralement des structures fragiles. En apparence, ils reposent sur les idées, la collaboration, l’entraide, mais dans les faits, ils ont besoin de ressources financières importantes pour assumer les frais fixes de leurs activités. « Ils tentent d’innover alors que leurs modèles d’affaires reposent sur les stratégies les plus traditionnelles qui soient. » 

À retenir  

  • Le modèle économique des open labs ne peut pas dépendre des retours sur investissements liés à la vente d’actions prises dans les startups qu’ils incubent. Tous ceux qui se sont engagés dans cette voie ont cessé leurs activités. 
  • Le modèle économique doit être un hybride de subventions publiques et de contributions privées. Tous ceux qui abandonnent les subventions ont des problèmes de trésorerie et ont du mal à aligner de manière cohérente les objectifs stratégiques sur les sources de revenus. 
  • Parmi les sources de revenus intéressantes, on retrouve la fourniture de services aux institutions publiques (à distinguer des subventions) et la gestion de l’innovation pour différents acteurs de l’écosystème. 
  • Les open labs doivent trouver l’équilibre entre leur taille et leur capacité (faire le choix de rester petit). Tout est affaire de compromis. 
  • Ils doivent se concentrer sur la création de valeur ajoutée pour les utilisateurs finaux et trouver l’alignement entre la création de valeur et les sources de revenus. 

Les grands avec les petits 

En ce moment, plusieurs grandes organisations sont face à un constat qu’elles doivent gagner en flexibilité, qu’elles doivent réorganiser leur hiérarchie, leurs modèles de gestion. Elles doivent trouver des manières de se transformer et développer une nouvelle capacité créative pour dépasser le schéma traditionnel. « Les open labs deviennent des outils pour les grandes organisations. Ce sont des lieux d’expérimentation. » 

À retenir 

  • Les laboratoires ouverts indépendants représentent des outils pour la transformation des grandes organisations et pour soutenir leurs capacités créatives.
  • Le choix d’un open lab partenaire par les grandes organisations dépend des éléments suivants :  
    • La dynamique de la collaboration (parfois, il faut inventer un modèle), 
    • La diversité des connaissances au sein de la communauté, 
    • Le portefeuille de services pour soutenir la capacité d’innovation de l’entreprise et faciliter son travail. 
  • Les grandes organisations peuvent choisir entre plusieurs options : 
    • Être client, 
    • Être partenaire, 
    • Demander aux employés d’agir en tant que membres de la communauté. 

Dynamique de l’écosystème 

Les open labs servent d’intermédiaires et de catalyseurs de l’émergence, du développement et de la transformation de leur écosystème respectif. Il repose sur une nouvelle dynamique qui se crée dans une communauté.  

 À retenir 

  • Trois cas types de relation entre l’open labs et son écosystème sont observés :  
    • Création de nouveaux écosystèmes autour des entreprises pour encourager les technologies de rupture et l’innovation. 
    • Création d’écosystèmes entrepreneuriaux : mise en place d’interactions et de systèmes d’allocation des ressources adaptés aux entrepreneurs spécifiquement. 
    • Transformation des écosystèmes d’innovation existants avec l’introduction d’une nouvelle culture de l’innovation, basée par exemple sur l’approche centrée sur l’utilisateur de la gestion de l’innovation. 

Nouveau modèle de gouvernance 

Un des enjeux vécus dans les communautés est de construire des interactions et des stratégies collectives. Alors que les open labs sont des espaces cognitifs et physiques favorisant l’intégration de diverses parties prenantes et le mise en place de nouvelles modalités d’interaction, ils deviennent un moyen de repenser les modèles de gouvernance dans les territoires et de faire émerger des « communs ». 

À retenir 

  • Les opens labs facilitent les rencontres et les mises en commun d’une diversité d’acteurs des secteurs publics et privés. 
  • Ils permettent de rendre certains acteurs de la société plus proactifs : les citoyens, les médias, les artistes, etc. 
  • Ils représentent des catalyseurs dans l’élaboration de nouvelles ressources partagées (humaines, technologiques, cognitives) et ont le potentiel d’avoir un impact à long terme.  
  • Ils contribuent ainsi à accélérer les processus d’innovation en améliorant la réactivité et la flexibilité face aux problèmes sociétaux et technologiques et en soutenant les écosystèmes entrepreneuriaux. 

Les humains avant tout 

Pour avoir un open labs et une dynamique porteuse pour la communauté, il faut :   

  • Les bonnes personnes, au bon endroit, au bon moment et en même temps, qui veulent travailler ensemble assez longtemps pour que cela donne des résultats. Ce sont ces personnes qui vont réussir à construire et mobiliser la communauté. 

« Nous avons absolument besoin de ces personnes », dit simplement Valérie Mérindol. 

Chef de fanfare 

L’open labs doit agir et être perçu comme un chef de fanfare dans la communauté. « La fanfare n’a pas le côté léché de l’orchestre. La fanfare est éclectique. L’open lab doit garder un côté “artisanal”, chaotique, tout en étant suffisamment professionnel grâce à ses gestionnaires pour pouvoir jouer son véritable rôle de catalyseur dans un écosystème. » 

À retenir  

  • L’open lab doit être un acteur neutre dans l’écosystème où le formel et l’informel sont possibles. 
  • Il doit réussir à mettre en place perspective commune tout en préserver l’esprit « maker » dans la communauté. 
  • Il doit travailler avec des organisations partenaires et les principales parties prenantes afin d’élaborer des stratégies communes. 

Les défis des open labs 

Les principaux défis à relever sont les suivants :  

  • L’alignement des intérêts et des contraintes, 
  • La coordination des ressources, 
  • La mise en place d’un leadership distribué pour l’application d’une stratégie collective dans l’écosystème.  

Les acteurs publics et les institutions locales doivent promouvoir :  

  • Le développement de l’open lab 
  • Son rôle en tant qu’acteurs centraux de l’intermédiation ainsi que sa stabilité dans ce rôle 
  • Les modes de travail en réseau dans un écosystème dont le laboratoire devient l’intermédiaire de l’innovation. 

Trois études de cas 

Trois études de cas que l’on retrouve dans le livre ont aussi été présentées lors de l’événement.  

Communitech  

Situé dans la région de Waterloo en Ontario, Communitech a pris naissance à partir de 1994. Le hub d’innovation a connu une croissance soutenue à partir de 2011 alors que l’Université de Waterloo y a installé son accélérateur. Il a connu son apogée en 2016 et à partir de 2019, il a commencé à se fragmenter en plus petits hubs qui sont toujours présents sur le territoire. 

NéoMed 

NéoMed est le district de l’innovation en santé qui se construit en ce moment à Strasbourg en France. L’idée est de rassembler dans un même lieu toutes les personnes susceptibles de contribuer à imaginer, designer, prototyper, tester et produire les technologies de soins de santé du futur. Le premier pas a été la construction du nouveau centre hospitalier en 2009. L’écosystème se construit maintenant tout autour. Dans le périmètre, des endroits qui favoriseront encore davantage la collision des idées sont en construction. 

TransMedTech 

TransMedTech est le laboratoire d’innovation vivante en santé qui a vu le jour à Montréal en 2017. Le lieu commun de la communauté se trouve à l’intérieur de l’hôpital Sainte-Justine. Son objectif est de catalyser l’écosystème d’innovation en santé et de développer de nouvelles technologies médicales qui seront implantées dans les hôpitaux. Le point de départ de chaque projet est un besoin médical non répondu. 

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